Alice et Louis

Photographie en médaillon Alice Larcher – Stèle – Cimetière ancien d’Exireuil -Crédit photo Valérie Larcher

J’ai rencontré Alice par un étrange concours de circonstances. Après le décès de mon grand-père, j’ai décidé d’un voyage dans les Deux-Sèvres. Je voulais découvrir la Martinière d’Exireuil. Le rêve de mon grand-père était de revenir sur les traces de son enfance. Nous nous étions promis de faire ce voyage ensemble. La vie ne lui a pas laissé ce temps.

Par une journée d’été de grande chaleur, je décide de franchir le portail du cimetière ancien d’Exireuil. Je n’ai pas de passion particulière pour ce genre d’endroit, mais en étant attentif on découvre une multitude de précieux renseignements.

Sépulture d’Alice et Louis Larcher – ancien cimetière d’Exireuil – photographie https://cimetieresmellois.fr/

Je longe la première allée, à droite en entrant, intriguée par une petite chapelle qui dépasse du mur d’enceinte. Je tombe face à une stèle où je lis 

« Ici repose en attendant la résurrection le corps de Alice Larcher victime d’un terrible accident décédée le 2 juillet 1909 à l’âge de 8 ans – A sa mémoire, ses parents éplorés ».

Je découvre une photographie en forme de petit médaillon. Une photographie que le temps a usé. Il reste un regard mélancolique qui croise le mien.

Je rencontre Alice.

Ce regard s’imprime en moi et je ne ne peux plus m’en défaire. Comme si elle me demandait de ne pas l’oublier. Mais qui était cette enfant ? Une inconnue ? Une parente ? Je ne savais rien.

Alice a été ma première « enquête familiale », pour découvrir toute la vérité, il me faudra quinze années d’acharnement..

Alice était la seconde fille du garde champêtre du village d’Exireuil, Louis Larcher, il était mon arrière grand-oncle. Il était le cadet d’une fratrie de trois frères, dont mon arrière grand-père Henri était le petit dernier, Jean était l’aîné.

Si Jean et Henri sont restés avec leur mère veuve, à la ferme familiale de la Martinière, comme cultivateurs exploitants. Louis a choisi de devenir garde champêtre, après ses trois années de service militaire, au 7e régiment de Hussards. Il réside à la Collinière d’Exireuil, où il exploite, aussi, quelques terres, pour améliorer le quotidien. Il est âgé de trente ans lorsqu’il épouse Amélie Deré à Exireuil, le 25 octobre 1898. Amélie est orpheline de mère depuis l’âge de trois ans. Elle a été élevé par sa sœur Marie, plus âgée de huit années. Marie a épousé un garçon d’Exireuil, Alexandre Guy, propriétaire cultivateur à La Roche Nadoux, un copain de Louis. Amélie et Louis se sont rencontrés ainsi. Les deux familles sont restées très proches toute leur vie.

Le 19 août 1899, Louis et Amélie accueillent leur premier enfant, Eglantine. Ce premier enfant voit le jour dans leur maison familiale de La Collinière. A peine deux ans plus tard, le 25 avril 1901, c’est Alice qui vient agrandir la famille. Les rires et les joies des fillettes résonnent dans la maison familiale. Le bonheur de leur grand-mère paternelle est immense, elles sont les premières nées. Jean et Henri ne sont pas encore mariés. Les fêtes familiales sont égayées par les enfants des deux familles, celle d’Alexandre et Marie et les filles de Louis et d’Amélie. Les saisons se succèdent. L’été pointe son nez, les enfants sont en vacances. Mais à cette époque tous les enfants devaient contribuer aux tâches quotidiennes. Souvent ils devaient garder, toute la journée, les bêtes dans les champs. Dans la famille, toutes les fermes comptaient des chèvres. La confection des fromages étaient une tradition incontournable.

Ce 1er juillet 1909, Eglantine et Alice, sont âgées de 10 et 8 ans. Elles doivent garder les chèvres dans un pré proche des Grands Ajoncs, sur la commune d’Exireuil. Comme chaque jour de vacances, elles partent en chantant, leurs petits chapeaux sur la tête, pour se protéger du soleil, un bâton à la main. Insouciantes et à la fois responsables, autrefois on ne plaisantait pas avec la vie des animaux. Les bêtes étaient essentielles à la survie des familles. Les fillettes le savaient et elles prenaient leur travail très au sérieux, même si elles se chipotaient, comme on se chipote entre sœurs ! Eglantine et Alice traversent les sentiers qui mènent au pré, les chèvres trottinent autour de leurs petites jambes. Tout à coup une chèvre s’échappe, elle se dirige vers la grande route. Alice se met à courir pour la rattraper. Que vont dire ses parents si une bête manque à l’appel ? Alice entend une voiture arriver, elle n’a qu’un objectif attraper sa chèvre. Elle traverse la route, le conducteur tente d’éviter la fillette, mais elle est percutée en pleine tête par le garde-roue situé sur le côté latéral du véhicule.

Article AD 79 – l’article comporte une erreur de nom il est indiqué le nom de « Marché » au lieu de Larcher

Eglantine assiste à la scène du bord de la route, Alice n’a pas entendu son cri d’effroi, elle est déjà couchée dans le fossé, propulsée par le choc. Le chauffeur est en panique, son patron à l’arrière n’est autre que le Député des Deux-Sèvres. Le Comte Georges de Talhouët-Roy, Maire de la commune de Thenezay où il possède une propriété « le Château du Porteau » (Pressigny). Le Comte ordonne que la petite soit transportée dans son propre véhicule à l’hôpital de St Maixent. Un voisin proche va s’en doute prévenir Louis. Les parents se rendent à l’hôpital Chaigneau à Saint Maixent. Alice est inconsciente, elle a de multiples fractures. Les religieuses prennent en charge la famille pour les préparer à affronter le pire. Alice s’endort pour toujours dans la nuit du jeudi au vendredi à 1 heure. Le docteur Vermeil a tenté en vain de la sauver, avec les maigres moyens médicaux de l’époque. Le Docteur Vermeil, voit s’éteindre cette enfant avec un grand sentiment d’impuissance. Lui-même perdra quelques années plus tard son fils âgé de 14 ans. Il est 5 heures ce vendredi quand Louis doit se résoudre, accablé par le chagrin, à se rendre à la mairie de Saint Maixent pour signer l’acte de décès de sa fille. Il est accompagné par un cousin François Joffret. La famille fait bloc. Face aux drames les familles se soutenaient toujours. On imagine la culpabilité des parents. Combien de chèvres auraient échangées Louis pour la vie de sa petite Alice ? La famille sera à jamais rongée par la culpabilité.

Hôpital Chaigneau – Document de Daniel Naud – Bouquiniste Antiquaire

Le Comte a certainement réglé les frais des funérailles. Louis modeste garde champêtre n’aurait jamais pu faire ériger cette petite chapelle où je croiserai le regard d’Alice pour la première fois.

Louis décédera quelques années plus tard à l’aube de la guerre de 1914, ne pouvant se remettre de la mort de son enfant. Amélie se retrouvera veuve avec sa fille Eglantine. Mon arrière grand-père Henri deviendra son tuteur. Eglantine ne pourra jamais oublier les images de l’accident et la mort de sa sœur. Elle n’a pas pu la sauver, mais elle sauvera, bien plus tard, d’autres enfants et des familles entières, d’une mort certaine…

Prochain portrait à venir Eglantine

* Une pensée pour le Comte Hervé de Talhoüet Roy, petit-fils de Georges, lequel a bien voulu répondre à mes questions sur les circonstances de l’accident. Il ne savait rien. Cette malheureuse histoire n’était pas arrivée jusqu’à lui. Le Comte est décédé quelques semaines après notre entretien téléphonique. J’ai cette pensé amicale pour cet homme d’une gentillesse extrême, lequel a porté un vif intérêt pour cette page d’histoire locale.

A savoir qu’Alice a été la première victime des Deux-Sèvres à succomber des suites d’un accident provoqué par une automobile.

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